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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

traversé les âges, comme leur auteur avait traversé la Gaule, tambour battant. Mais qui lit aujourd’hui les romans de Disraeli, lequel donna à la reine Victoria l’Empire des Indes ? Ceci n’est qu’un exemple entre cent.

Clemenceau fut déçu. Il s’attendait à un tout autre accueil de la part de la critique et du public. Il s’était appliqué à faire les personnages de son livre vivants, à ne pas les alourdir des théories évolutionnistes qui, lorsqu’il prenait la plume, lui venaient à l’esprit. Il n’avait pas ménagé sa peine. Il avait raturé, recommencé, interverti l’ordre des chapitres, mis dans les descriptions de paysages tout ce qu’il ressentait. Mais on s’attendait, de sa part, à quelque chose de plus cinglant et de plus direct. En outre son style fut trouvé pataud, submergé de génitifs abstraits et d’épithètes en cascade. Ni les milieux littéraires, ni les milieux mondains à la remorque des milieux littéraires n’accordèrent leur attention à un tel effort. Au point de vue matériel, le résultat fut piètre.

Par la suite Clemenceau écrivit une fort belle pièce, due au souvenir de la déconvenue domestique paternelle, le Voile du bonheur, interprétée avec talent par Gémier. Il plaça en Chine la mésaventure de son aveugle qui ne recouvrait la vue que pour accumuler les désillusions et les déceptions. Ce drame rapide et cruel, d’une ironie en profondeur, déconcerta. Le Voile du Bonheur méritait mieux.

Vers le même temps la passion amoureuse, telle qu’il ne l’avait pas encore connue, s’éleva dans le cœur indomptable du tribun devenu littérateur.