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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

maboulesques de Viviani ; remettant vertement à sa place tel ou tel, distribuant ses coups de boutoir, comme le sanglier. C’était là, avec sa gymnastique de chambre et le massage de son cher Leroy, son exercice préféré et qui lui rendait la bonne humeur et l’appétit, s’il les avait perdus. Mais c’est avec les préfets qu’il s’en donna à cœur joie, les convoquant à tour de rôle ou simultanément, provoquant leurs récriminations, les refoulant avec une égale ardeur, leur demandant des rapports écrits et oraux, les opposant les uns aux autres. C’étaient là des scènes de comédie, que les huissiers écoutaient aux portes et dont ils se délectaient. Un jour, un de ces souffre-douleur, menacé de perdre sa place, se jeta à genoux en pleurant, parla de sa petite famille, émut le terrible patron, qui après l’avoir traité de tous les termes les plus injurieux, lui donna finalement de l’avancement ! Il était particulièrement impitoyable pour ceux qui couchaient avec les femmes de leurs administrés et subordonnés et leur lavait la tête au vinaigre : « Croyez-vous, espèce de cochon, que l’État vous paye des appointements pour donner de l’air à votre bébête et faire cocus vos inférieurs. Allez faire valoir vos droits à la retraite et plus vite que ça. » Après les préfets, c’étaient les diplomates et « la clique du quai d’Orsay » qui écopaient le plus fréquemment. Dans ce milieu « de femmes, de truffes et de vin de Champagne », comme disait Bismarck, « le vieux » était particulièrement redouté et ses coups de téléphone et ceux de ses secrétaires à Pichon étaient le cauchemar de la maison. On avait espéré dans les administrations que ce vieil énergumène des feuilles de présence ne durerait pas, qu’il serait renversé comme il en avait renversé d’autres, mais les mois succédaient aux mois et le