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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

de décider le « Rédempteur », assez effrayé lui-même de l’accélération et de l’aggravation des choses et ayant le sentiment de ses responsabilités. En le voyant entrer, les traits défaits, le visage pâle. Clemenceau se rendit compte aussitôt de ce qu’il appelait « son peu d’entrain » et le secoua comme un. prunier :

— Avez-vous bien réfléchi à l’aboutissement de toutes ces diableries, à vos responsabilités personnelles ? Le sang a déjà coulé. Il coulera davantage. Vous imaginez-vous que je vais vous laisser foutre le feu à trois départements, blesser et tuer des gendarmes, des officiers et des soldats, occuper la cathédrale de Montpellier, Je ne suis pas Mgr de Cabrières, moi. Je suis un homme de la Révolution et ceux qui m’embêtent et provoquent les soldats à la mutinerie, je les envoie en conseil de guerre et je les fais passer par les armes. Avez-vous compris ?

Le pauvre « Rédempteur » avait compris. Il suait sang et eau dans son fauteuil, tout en noir, semblable à un employé de Pompes funèbres pris en faute.

Alors le Vieux s’adoucit, le chapitra, lui mit la main sur l’épaule, développa devant lui la grande devise Liberté, Égalité, Fraternité, s’informa en gros des desiderata des vignerons, promit, comme aux mineurs, les réformes « possibles et raisonnables ». Puis, tirant son portefeuille, il y prit deux billets de cent francs et les glissa dans la main hésitante du repentant : « voilà pour votre trajet de retour. Dites à vos amis de rentrer chez eux. » Que pouvait faire ce paysan isolé devant le véritable maître du Pays ! Car Marcellin Albert savait bien que le Président de la République n’était qu’un pauvre soli-