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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

générale. Le suffrage universel, le Parlement et en particulier le Sénat, dont il faisait maintenant partie, et où le bon sens était plus répandu qu’à la Chambre, toute cette construction, idole de sa jeunesse, lui paraissait assez raisonnable. La division des partis était elle-même une bonne chose, puisqu’elle permettait aux thèses contraires de s’affronter librement.

Cependant le journal quotidien où exposer son sentiment sur toutes choses et sur toutes gens lui manquait. Il avait trouvé son titre l’Homme libre, il n’avait pas trouvé les capitaux et il ne voulait plus avoir au cou le licol d’un Cornelius Herz, ce genre de fantoches pouvant devenir dangereux.

Passant en revue les hommes publics qu’il avait vus de près comme président du Conseil, et côtoyé pendant trois ans, il était frappé de la mollesse et de l’ignorance de Briand, de la mesquinerie de Poincaré et de l’outrecuidance du pétulant Caillaux, classé par lui comme « à surveiller ». Cette génération-ci ne valait pas la précédente des Schœlcher, des Blanqui, même des Jules Simon. Ce qui faisait le plus défaut c’était le caractère, sauf chez les fripouilles et il se rappelait, à ce sujet, le dicton anglais. Quand il était dans ces pensées, avec le sentiment intime qu’il avait une grande tâche à accomplir, l’âge venant vite, il ne percevait plus rien des choses du dehors, le mouvement de la mer lui devenait lointain, lointain. Il prenait ses repas à une petite table, dans La salle à manger commune et le commandant, très discret, avait recommandé à ses officiers et aux passagers de ne pas l’importuner. Il conversait volontiers avec le médecin du bord et discutait de l’origine et du trai-