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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

fatigués — la guerre use vite les tempéraments les plus robustes — et de leur renvoi à l’arrière, fut résolue entre Foch, Weygand, Mordacq et Clemenceau d’abord, puis entre Pétain, Mordacq et Clemenceau dans le sens de l’intérêt national. Il avait fallu dix mois pour en arriver là ! Quant à Clemenceau lui-même, sa résistance à la fatigue et aux soucis de toute sorte, stupéfiait son entourage. Jamais un rhume, jamais une dépression. Il était toujours sur le pont, toujours frais et rose, toujours prêt à la riposte, et sa compréhension immédiate devançait les objections, enclouait les contradicteurs. Il déclara par la suite que ces quelques mois de direction de la guerre lui en avaient plus appris que tout le reste de son existence et que tous les livres qu’il avait lus. Il aspirait au moment où il pourrait « mettre tout cela en ordre » et « réviser ses connaissances et ses certitudes », qu’il ne devait d’ailleurs jamais réviser, sauf en ce qui concernait la démocratie, idole de sa jeunesse et de son âge mûr.

Capus, qui le voyait fréquemment, qui l’admirait, l’aimait et auquel il se confiait volontiers, vit monter en lui sa hargne contre Poincaré et son mépris et dégoût de Briand, dont les intrigues, au moment de l’alerte du Chemin-des-Dames, l’écœuraient. Il aurait voulu lui taper dessus : « Puisque je porte des gants, je ne risque pas d’attraper sa flemme. » Capus, pour s’amuser, défendait mollement ces deux têtes de turc, l’un, le petit bourgeois de province, étriqué, chipoteur, froussard, rancunier ; l’autre, invraisemblable gouape, portée au premier rang par le suffrage universel. Mais de longue date, depuis le Panama, cette question du suffrage universel, du grand fétiche, préoccupait le personnage à transformations qu’était Clemenceau. Ses opinions