Aller au contenu

Page:Léon Daudet – La vie orageuse de Clemenceau.djvu/37

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
36
LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

champ, des formules admirables, opposant, par exemple, à la Puissance des Ténèbres de Tolstoï, « l’impuissance des lumières ». Edouard Durranc était un éclat de rire, dans un corps replet et agile, de bon copain méridional. On lui devait le mot célèbre : « La République était si belle sous l’Empire ! » généralement attribué à Forain. Charles Martel, bon géant aux yeux aigus, faisait la critique dramatique. Sutter Laumann occupait le poste malaisé de secrétaire de rédaction et récoltait la copie. Pris par le métier parlementaire, et par ses amours aiguës avec une belle cantatrice aux nobles attitudes, Clemenceau n’écrivait guère dans son journal, mais il revoyait la copie et donnait les indications politiques, qui se croisaient alors dans tous les sens. Frondeur, blagueur, ne retenant jamais un mot au vitriol, il se faisait chaque jour des ennemis. Il était plein de considération pour l’historien de la Révolution Aulard, qui signait, à la Justice, « Santhonax ». Il avait présidé, à la salle Gerson, l’ouverture du cours de celui-ci à la Sorbonne et comparé, aux applaudissements de tous, le mouvement de 1789-1795 à un lutteur, assailli de tous côtés, et qui rend les coups pour les coups : « Si l’on dissimule ceux qui l’attaquent, il prend l’allure d’un forcené. » Ainsi, et par l’exaltation intérieure, qui tenait à son émotivité contenue, avait-il fait de la Révolution son fétiche, et qu’il ne séparait pas de la Patrie. Jacobin, il l’était dans l’âme. Revanchard, il l’était dans l’âme, mais pour de bon, et de toute autre façon que Gambetta, qui ne rêvait que de s’entendre avec Bismarck et fréquentait chez la fille espionne Thérèse Lachmann, dite de Païva, devenue, par le mariage avec un riche hobereau prussien, com-