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Page:Léon Daudet – La vie orageuse de Clemenceau.djvu/41

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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

gauche, la cause du peuple, qu’exprimait le suffrage universel.

Soudain, un frémissement parcourut les bureaux poussiéreux et jamais balayés du journal, la demi-douzaine de pièces crasseuses, où s’entassaient les rédacteurs. C’était le patron qui arrivait.

Mince, élégant, déluré, en habit et cravate blanche, parfumé à l’eau de Cologne, le cigare à la bouche, les yeux brillants de malice, serrant les mains à la ronde, disant à chacun un mot bref, tel était celui dont ses amis attendaient de grandes choses et qui paraissait, à cette date-là, en mesure de réaliser son destin.

— Le gosse est-il là ? demanda-t-il après avoir remis son paletot et sa canne au garçon de bureau.

Le gosse, c’était son frère Albert, licencié en droit, et pour lequel il avait une sollicitude particulière. Puis s’adressant à Mullem, chargé de la politique étrangère, il lui demanda : « Quoi de nouveau ? » L’auteur de Chez Madame Antonin fit un geste évasif. Il était question du budget Tirard, du renouvellement du Sénat et du scrutin de liste. Sur chacun de ces points le patron et le parti avaient leur opinion arrêtée. Mais la grosse affaire de l’heure, c’était la question coloniale, dont le représentant et champion opportuniste était Jules Ferry. Clemenceau la résumait en ces termes à ses collaborateurs groupés autour de lui et qui subissaient gaîment son ascendant :

— C’est très simple. Ferry continue la politique gambettiste de rapprochement avec l’Allemagne, alors qu’il n’y a pour nous qu’une politique possible, celle de la Revanche. Bismarck nous a ouvert la diversion des colonies, effroyable usure en efforts, en hommes, en argent, afin de nous mettre, à un