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Page:Léon Daudet – La vie orageuse de Clemenceau.djvu/44

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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

fleuve, un paquet de feuilles d’imprimerie à la main.

— Sans doute, mais Nana est une cochonnerie…

— C’est beaucoup dire. Le directeur Bordenave, celui qui reprend « mon théâtre, dites mon bordel », celui-là est peint au naturel…

— Je fréquente parfois les coulisses des théâtres. Je n’ai jamais rien entendu de pareil.

À ce moment, le garçon de bureau apporta à Clemenceau un billet, que celui-ci ouvrit aussitôt. Il lut pour lui-même :

« Souffrante ce soir. Impossible. Je me couche. Baisers. »

— Ah, songea, dépité, le directeur de la Justice. Voilà qui change mes projets. Je n’ai plus envie de travailler cette nuit, ni d’aller au café, ni d’ailleurs de rentrer chez moi. C’est demain dimanche. Il appela : « Martel, Durranc !… »

— Voilà, voilà, patron. Qu’y a-t-il ?

— Il y a que je n’ai pas sommeil, que c’est demain dimanche, et que je vous emmène à Fontainebleau. Le dernier train est à une heure dix. Nous verrons la forêt sous la neige et nous bavarderons. Retour demain pour dîner. Ça va ?

Les collaborateurs de Clemenceau avaient l’habitude de ces fugues et, avec lui, ne s’étonnaient de rien, étant toujours prêts à le suivre n’importe où. Son côté bohème et fantasque n’était pas un de ses moindres charmes.

— Vous avez un bon paletot ? dit-il à Durranc, frileux et de santé délicate.

— Il est vieux et sans luxe. Mais c’est un ami sûr.

— Et vous, Martel ?

— Même refrain !

— En route, alors !…