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Page:Léon Daudet – La vie orageuse de Clemenceau.djvu/59

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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

l’inquiétude étaient dans l’air. Le nom de Ferry, accompagné d’imprécations, et celui de Clemenceau, l’accusateur, couraient de bouche en bouche, dans une foule dont les remous ne devinrent inquiétants que vers la fin de l’après-midi, alors que la chute du cabinet était certaine. Visiblement le régime oscillait et les radicaux, groupés autour de la Justice, en apparurent comme les sauveurs.

Clemenceau, comblé par la fortune, au détriment de son pays, comme Gambetta l’avait été à la nouvelle de Sedan — bien que Lang Son ne fût pas comparable à Sedan — ne cessait, au milieu du brouhabha, de se donner à soi-même l’ordre du calme et du sang-froid. À son vestiaire, un peu en retrait, il était assailli par ses collègues de droite, du centre et de gauche, accourus pour le féliciter, et par les rédacteurs des journaux parisiens et correspondants de journaux étrangers : Il avait l’allure simple et mélancolique de celui qui l’avait bien dit. Aux questions dont on l’accablait il ne répondait que par des gestes de commisération. Dans le clan d’en face c’était l’accablement. Le télégramme de Brière de l’Isle rappelait celui de Napoléon III après Sedan. Il semblait qu’il en eût remis. On eût cru que déjà les troupes chinoises se préparaient à assiéger Paris. Des femmes sanglotaient, qui avaient leurs maris ou leurs frères là-bas, et l’on parlait des supplices épouvantables réservés par les Chinois à leurs prisonniers.

L’installation du bureau de la Chambre se fit, comme en pareil cas, dans le brouhaha. La verrière s’alluma. La séance fut ouverte tandis que, réuni dans les bureaux, le gouvernement accablé et déjà mourant — on l’eût été à moins ! — rédigeait une demande de 200 millions de crédit pour l’envoi de