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Page:Léon Daudet – La vie orageuse de Clemenceau.djvu/61

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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

portefeuilles de traviolle, fut salué par les injures les plus violentes :

« Dehors, crapules ! dehors, canailles !… Qu’on ne vous revoie plus ! »

On fit partir, par la cour intérieure, l’auteur de l’article 7, qui d’ailleurs n’en menait pas large et se cachait le visage tant qu’il pouvait. Il était l’image vivante de l’animal appelé putois, mais d’un putois de bonne maison. On raconte qu’il attendit une heure et demie, dans les bureaux de la Chambre, jusqu’à ce que la foule fût écoulée. Les députés qui le saluaient la veille passaient en feignant de ne pas le voir. C’est alors que s’approcha de lui un de ses secrétaires, Georges Hecq, qui fut depuis à la sous-direction des Beaux-Arts :

— Patron, vous êtes victime d’une grande injustice, mais, croyez-moi, l’avenir vous vengera.

— Qu’est-ce qui te prend ? dit un collègue à Hecq. Tu veux briser ta carrière ? Tu vois bien qu’il est fini.

Ferry demeurait là, debout, sans un compagnon, sans un ami. Hecq lui offrit son bras pour descendre dans la cour de Bourgogne, où il retrouverait « son sapin ».

— « Son sapin », c’est bien le mot, dit à Hecq un camarade du ministère.

Déjà les pronostics politiques couraient Paris. La règle du jeu désignait nettement, pour succéder au Tonkinois, son tombeur Clemenceau. Mais la Providence, qui le réservait pour une autre tâche, veillait sous la forme du père Grévy, président de la République, lequel haïssait les personnalités fortes. Il voulait bien d’un radical, il ne voulait pas de celui-là. Le fauteuil élyséen n’était pas encore assez ébranlé pour qu’on passât outre à cet entêtement