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MÉMOIRE ET DESIR.

l’esprit. Quand cette vibration s’accélère, c’est l’état de frénésie ou de passion violente. Quand il se ralentit, c’est l’état mélancolique. Le passage de l’accélération au ralentissement, ou vice versa, fait affleurer les sentiments et les constatations ironiques. D’une façon générale, l’ironie est l’effort d’un tourbillon héréditaire désorbité par le désir, et qui tend à l’équilibre par le soi. C’est ce qu’avait remarqué Socrate, si nous en croyons son disciple Platon.

La frénésie, dont les exemples abondent dans la vie courante, offre peu de témoignages littéraires, pour cette raison qu’elle bouscule le rythme, indispensable à la prose comme aux vers. Il ne faut accueillir qu’avec une extrême réserve les remarques et théories de Nietzsche, concernant l’ivresse dionysienne, opposée au calme apollinien. Il est naturel qu’un déréglé tel que Nietzsche ait cherché à glorifier le dérèglement, mais ce n’est ici qu’une des mille aberrations de l’orgueil, poussant sa pointe dans l’investigation philosophique. L’Ordre demeure la grande et profonde loi de la gravitation intérieure, comme de la planétaire, et quiconque méconnaît cette loi perd la parole. Il existe dans Hugo, qui divinisait, lui aussi, son propre dérèglement, des morceaux d’une frénésie toute pure, plus superficielle néanmoins que foncière. En effet, rien ne prête plus au cabotinage et à l’affectation que le débordement et le balbutiement passionnels dans les mots. Il y aura lieu d’y revenir, à propos du lan-