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LE MOT ET CE QU’IL ÉVOQUE.

nations et ses accentuations hallucinantes. Au lieu que la voix d’un autre grand écrivain, tel que Pascal, mais surtout abstrait, est lointaine et malaisée à reconstituer. Cet essai, que j’appellerai de reviviscence auditive, peut être tenté avec un Rabelais, un Montaigne, un Molière, un Diderot, etc… Entendons-nous bien. Il ne s’agit pas de les lire à haute voix, ce qui consiste à substituer notre voix à la leur. Il s’agit de les lire avec nos yeux, mais en écoutant en nous la prolongation auditive de cette lecture, par un petit effort d’attention spécial. J’ai remarqué qu’on pénétrait ainsi plus profondément dans la pensée ou dans le sentiment de l’écrivain et que l’amitié de lecture en était augmentée. De même certains musiciens nés préfèrent lire la musique, plutôt que l’exécuter ou que l’entendre exécuter. De même certains préfèrent lire une pièce de théâtre, plutôt que la voir représenter.

Le mot évoque le mot et la phrase, avec l’état moral et physique qui les accompagne. La magie de la lecture et son immense bienfait consistent à nous arracher momentanément à notre personnalité, pour entrer dans celle d’autrui, puis à nous ramener à la nôtre ; soit que nous nous intéressions aux aventures racontées ou aux pensées exprimées ; soit que, derrière ces aventures et ces pensées, nous cherchions la personnalité de l’auteur ; soit enfin que nous étudiions l’influence, immédiate ou seconde, de cette personnalité sur la nôtre.

Le premier stade est bien connu et je n’y insiste