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LE MONDE DES IMAGES.

à l’aide de sa mimique, des sentiments qu’il n’éprouve pas. La station verticale (os homini sublime dedit), en libérant les membres supérieurs de la servitude ambulatoire, pour leur permettre de façonner et signifier, a libéré aussi le visage d’une partie de sa besogne naturelle (fouir, déchirer les aliments) et fait de lui un clavier expressif. Ce clavier nous permet, en cas d’abandon et de sincérité musculaire, de discerner, à première vue, certains états d’âme : la colère, la joie, la gratitude, la haine, la méfiance, la confiance, la mélancolie. Ces états, celui qui les observe, les conjecture à l’aide de mots ; ils correspondent eux-mêmes à une demi-confusion verbale, dont l’analyse est malaisée.

Il y a, dans la mimique, des idiosyncrasies. J’ai connu une charmante femme qui, dans ses moments d’inquiétude ou de mécontentement, promenait sa langue en cercle à l’intérieur de sa joue, de façon à former extérieurement une petite boule. On lui disait : « Vous faites votre boule. C’est que ça ne va pas. » La même, quand elle mangeait, fort gracieusement, du raisin, insérait dans sa main libre, fermée « en gobelet », le petit doigt de la main tenant la grappe. Une autre, de la plus délicate beauté, se rongeait les joues, quand elle était perplexe ou simplement songeuse, et souriait au conseil : « Gardez-en un peu pour demain matin. » Zola, grand nerveux, s’il en fût, et hérédo caractérisé, se frottait vivement le nez dans la discussion, puis tendait le pied et l’agitait dans sa bottine à