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LE MONDE DES IMAGES.

dont la complexité échappe souvent à ceux qui s’intéressent à ses dehors, pour négliger ses profondeurs. Les écrivains de pénétration, ou chez qui domine la pénétration, attachent plus d’importance à la découverte d’un trait général qu’à l’observation d’un trait singulier, complétant un type donné. Cela se remarque bien chez Racine, qui peint une Hermione, une Phèdre, une Andromaque, mais chez qui le vers prend son plus haut rémige quand il s’agit de révéler et de fixer l’éternel féminin, l’identique féminin, de ces trois cœurs et corps dissemblables. Alors que les différences de surface sont exprimées par Racine en quelques répliques vives, scéniques, mais cursives, les ressemblances d’espèce, les analogies profondes suscitent ce verbe sombre et nuancé, ardent et doux, cette volupté implicite et sournoise, qui sont les marques de ce suprême génie. Car nul n’a su, comme lui, exprimer la chair et ses tourments par le spirituel et mettre en quelque sorte Vénus au couvent. Les galantes peintures d’Ovide, dans son Art d’aimer, sont tièdes à côté des effusions faussement idéales des héroïnes de Racine. À ces hauteurs, la dissimulation sensuelle devient un outil de l’analyse et un chapitre de la connaissance.

La pénétration littéraire correspond, selon moi, à une simultanéité de personimages dans l’esprit-corps de l’écrivain. Son soi se reporte de l’une à l’autre, prélevant ici des figures et des fragments de figures, là des mots correspondant à ces figures,