Page:Léon Daudet – Le Monde des images.djvu/33

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consolateur — c’était presque sa fonction épistolaire — ne me disent rien, n’agissent sur moi. L’orage de Bossuet m’a l’air peint ou cartonné et le stoïcisme de Sénèque me glace. Au lieu que Virgile m’élève au-dessus de mon tourment, dans une splendeur douce et apaisée, qui n’en laisse plus voir qu’une ligne brillante, rejoignant d’autres nobles inquiétudes. Je persiste à le considérer comme le magicien des magiciens et un sécheur de pleurs incomparable, lui le devin du sunt lacrymœ rerum.

Ce choix du simulacre, du remplaçant ou du dérivant imaginatif, varie ainsi avec les personnes. Mon père, torturé pendant de longues années, par des douleurs fulgurantes, lisait et relisait Virgile certes, qu’il savait par cœur (je n’ai pas connu de meilleur latiniste) mais aussi et surtout Montaigne, Michel, l’incomparable Michel, Je le vois, tenant cet exemplaire usagé, son compagnon fidèle, et faisant « ouïe », « aïe », tout en riant et savourant ces phrases retorses, pleines d’un suc qui coule avec le naturel, en spires et volutes capricieuses. Mon grand-père maternel, s’il était malade ou embêté, ouvrait son Horace, un petit bouquin des Odes, qui ne quittait jamais sa poche. Il tournait et retournait ces pierres translucides, qui reflètent en menu tant de choses. Jules Lemaître, lui, savez-vous ce qu’il préférait pour s’évader de la souffrance physique ou morale ? La Fontaine — cela se conçoit — mais, je vous le donne en mille… Candide ! Oui, ce brouet noir et condensé de toutes les