Page:Léon Daudet – Le Monde des images.djvu/75

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sens, provoquant les troubles les plus divers. On connaît de sinistres exemples d’amoindrissement, de destruction de beaux génies par le poison chronique : un Quincey, un Baudelaire, un Edgar Poë, un Gérard de Nerval. Malheureusement, les études que leur ont consacrées des dames protestantes, ou des carabins effervescents, manquent d’envergure et de compréhension. Elles ont embrouillé le problème, par l’intervention de considérations morales secondaires où étrangères, au lieu de le simplifier, et ajouté ainsi incompréhension au romantisme.

Edgar Poë, par exemple, semble avoir été un des poètes et écrivains les mieux doués ici-bas, pour la puissance et la hiérarchie souple des personimages. Son œuvre lyrique, narrative, philosophique, est comme un ballet bien réglé, parcouru par ces grandes ondes mélancoliques qui accompagnent les remplacements de figures héréditaires les unes par les autres, avec leurs atmosphères alternées de joie et de peine. La dite mélancolie étant un liséré entre la volupté et la douleur, une sorte d’oscillation continuelle, de balancement entre le regret du plaisir enfui et l’appréhension de la souffrance qui vient. Poë a profondément senti et subi ses personimages, ainsi qu’il appert de la pièce le Corbeau où la nostalgie atteint à un paroxysme presque gustatif, et de cet autre poème, Ulalume, tout embué des brumes de l’automne, jointes à celles de l’introspection.

Tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change !