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Page:Léon Daudet – Le stupide XIXe siècle.djvu/145

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L’ABERRATION ROMANTIQUE

Lointaine de Rostand, qui méprise le Chevalier des Touches et l’Ensorcelée. Ce troupeau, qui contient des professeurs d’Université, des académiciens, des chroniqueurs, des caillettes, des gens de bureau, de cercles et de salons, ainsi qu’une cohorte d’aspirants à l’intelligence et au diplôme de bel esprit, est plus nocif, parce que plus orgueilleux, que l’ignorante collectivité. Il faut préférer un primaire, se donnant pour tel, à un faux amateur, dit « éclairé », et plongeant, dans son œil, un doigt taché d’encre.

Chez ce troupeau, l’aristocratie de l’esprit et du style (quelle que soit sa forme) provoque une méfiance, qui va jusqu’à l’irritation et à la haine. Baudelaire est un aristo de la pensée, de l’inspiration, forte et courte (selon la juste remarque de Maurras) et de la sensation. Il ressemble à ces albatros de la pièce fameuse : « Lorsque pour s’amuser, les hommes d’équipage… » Le malaise extraordinaire, qu’il traîna toute sa vie, tenait à la discordance entre ses aspirations et son époque. Le voyage et l’exil volontaires ne faisaient que l’aggraver. Il fut le type du transplanté dans le temps, que tout blesse, que tout exaspère, et qui cherche, dans l’exotique, ou dans l’anormal, un remède à sa dyschronie, ou, si vous préférez, à son anachronie. Un solide bon sens naturel, contrarié par cette lassitude et ce dégoût du siècle où il vit (tœdium seculi), tel est Charles Baudelaire, celui qu’au fameux divan Lepeletier, Théodore de Banville voyait assis, farouche, auprès du doux Asselineau et « tel qu’un Gœthe