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Page:Léon Daudet – Le stupide XIXe siècle.djvu/161

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DÉCADENCE DE LA PHILOSOPHIE

mencerait par se couper les pieds. L’homme qui pense (Descartes l’a bien vu) est accompagné, tout le temps qu’il pense, et dans les limites mêmes de sa pensée, par la soif métaphysique, sans laquelle il s’affaisse aussitôt dans la constatation matérielle et dans son doute. Tout élan créateur, en cet ordre, a un dessous, un substratum métaphysique, et l’agencement des comment les plus rudimentaires postule tout autant de pourquoi. Bien mieux, les démarches morales les plus humbles de notre existence présupposent une sourde et latente métaphysique, sans laquelle nous nous abandonnons à l’accident et au parcellaire ; ceci a fait dire à quelques bons esprits que l’homme était un animal métaphysique. Mais il n’a de la ressemblance avec l’animal que l’apparence.

Qu’est-ce qui fait que Comte (en dépit de son incontestable originalité) a été si peu lu, même par les adversaires de ses adversaires, lesquels ne furent pas toujours ses disciples ? C’est son dédain initial de la métaphysique. S’occupant de la hiérarchie des travaux humains, il commence par nier le propre de l’homme et rebute ainsi les mieux disposés. Ce n’est pas son fatras qui est un obstacle à l’étude de ses ouvrages, plus ou moins critiques. C’est sa décapitation préalable. Car une philosophie générale sans métaphysique ne saurait être qu’un corps sans tête. Usant d’une autre métaphore, je dirai volontiers que la métaphysique c’est l’oxygène et que l’atmosphère philosophique devient, sans elle, irrespirable.