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LE STUPIDE XIXe SIÉCLE.

maître) me répétait constamment : « Qui comprend Kant à fond est animé du véritable esprit républicain. Kant est un père de la démocratie. » Il voulait dire que le criticisme déchaînait le libre examen et mettait une rallonge à Luther, ce qui est exact. Mais il n’est rien de plus contraire au génie français.

Renouvier, en essayant d’adapter le criticisme kantien à l’intelligence française, avec l’application tendue d’un lévite maniaque, a corrompu, pour de longues années, en France, l’enseignement de la philosophie et détourné de ses recherches, si utiles, nombre d’excellents esprits. Adopté par le fanatisme primaire, que la politique républicaine faisait régner au sommet de l’enseignement supérieur, et notamment à la Sorbonne, (voir le beau livre de Pierre Lasserre, la Doctrine Officielle de l’Université), proposé comme mandarin et comme pontife à deux générations d’étudiants, il a fait comme son « Emmanuel », le désert métaphysique autour de lui. Il est le type du mancenillier dogmatique. C’est lui encore qui, pour sauver le romantisme agonisant, imagina de prêter à Victor Hugo un système cohérent de philosophie ! Or Hugo (on le sait aujourd’hui) était avant tout, un grand sexuel du type verbal, chez qui une raison rabougrie, et comme obnubilée, ne tenait plus que par les pilotis d’un immense orgueil. L’ouvrage par lequel Renouvier essaie de masquer cette évidence est d’un impayable comique, sous les lugubres dehors habituels à ce pense-faux. Il passa d’ailleurs inaperçu, et je ne le