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DÉCADENCE DE LA PHILOSOPHIE

gilité, tout en rapetissant sa mission, ils n’ont pas hésité à l’immoler au Bien, reconnu par eux supérieur, de la Patrie. Comment cela s’explique-t-il ? À mon avis, par le retour, latent mais sûr, de la philosophie véritable, à travers le trouble limon des paraphilosophies que je viens d’énumérer. Beaucoup plus nombreux qu’on ne l’imaginait furent les derniers enfants du siècle, nés de 1880 à 1914, supportant ainsi les derniers chocs de cent années de matérialisme, plus ou moins masqué et divaguant, qui aspiraient, non à la mystique, état rare, mais à la métaphysique du miracle, état fréquent.

Je m’explique : le conditionnement imposé de l’esprit, quel qu’il soit, d’origine kantienne, ou déterministe, ou comtiste, ou darwinienne, ou renanienne, procure très rapidement à l’esprit une sensation de pesanteur et de captivité, amène en lui un besoin de délivrance. J’ai connu, il y a une trentaine d’années, une vieille femme de quatre-vingts ans, qui s’écriait en mourant : « Je suis en proie aux philosophes ! » Beaucoup de nos contemporains, entre vingt et quarante ans, avaient subi la même tyrannie et cherchaient, comme cette vieille femme, à la secouer. Ils n’attendaient qu’une occasion pathétique pour se manifester, se montrer tels qu’ils étaient, laisser sourdre leurs profondeurs.

Le conditionnement imposé de l’esprit (et de cette âme, dont l’esprit est le reflet) n’est pas seulement un poids rapidement intolérable pour l’imagination. Il est encore le poison le plus subtil de la volonté, de l’énergie en général, et de la résistance aux