Car la conception de l’homme de génie, telle qu’elle fut forgée par les salonnards, est une conception romantique, au même titre que celle de l’arbitrage et du jugement de la foule. On la trouve exposée tout au long par Victor Hugo, dans son William Shakespeare. Elle a donné naissance à Bonaparte, qui en fut le premier bénéficiaire, avant Chateaubriand et Hugo. Elle se résume assez aisément : l’homme de génie est celui qui, en plus de dons naturels, (quant à l’origine desquels on ne s’expliquera que plus tard), a tous les droits en bloc et aucun devoir. Il se reconnaît à ceci, qu’il porte en lui une grande vérité, laïque et terrestre, encore insoupçonnée des humains, et qui va être l’origine d’un progrès foudroyant. Pour Michelet, la « Bible de l’Humanité » est ainsi constituée par une série de révélateurs, d’entraîneurs de masses, s’avançant, du fond de cette ombre, qui est le passé, vers cette lumière, qui est l’avenir. Conception identique chez Quinet. Très voisine, avec quelques hésitations et repentirs sur le tard, chez Renan. L’idée foncière, rarement exprimée, mais généralement insinuée, c’est que l’homme de génie est un demi-Dieu, qui peut même remplacer Dieu, à un moment donné. De là, une nouvelle conception de l’autorité fondée sur le génie, et d’après laquelle, les peuples ne doivent s’incliner que devant lui. Hugo y ajouta la bonté ; mais c’est ce que Pascal appelait une fausse fenêtre pour la symétrie ; et d’ailleurs Hugo n’était pas bon et n’avait de goût que pour la bonté extraordinaire et specta-