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Page:Léon Daudet – Le stupide XIXe siècle.djvu/234

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LE STUPIDE XIXe SIÉCLE.

humaine. Le verbe est l’humanisation de la pensée, voilà tout ce que nous pouvons dire aujourd’hui, en 1922. D’ailleurs quiconque, avec un petit effort, regarde en face sa pensée, la plus simple, pressent en elle une sorte d’abîme héréditaire, de legs mystérieux et divin. La verbalisation de la pensée nous apparaît alors comme ne détachant de celle-ci que l’écorce.

La vision émancipatrice du laboratoire (qui est le propre du Stupide) a mis ainsi en opposition, aux yeux des sots, le laboratoire et l’oratoire. Je ne me rappelle pas sans attendrissement le papa Jules Soury, matérialiste convaincu et qui, cependant, par tradition, allait régulièrement entendre sa messe. À ses yeux la vie était exécrable, un deuil semé de deuils, et sans lendemain. Mais, pour franchir ce temps hideux (où les concierges et les domestiques lui apparaissaient ainsi que des fléaux en surcroît), il y avait la science et le laboratoire. Le papa Soury croyait dur comme fer, lui, l’incrédule, que la constitution du cerveau, considéré comme sécrétant la pensée à l’aide des neurones (mais où sont les neurones d’antan !), était aujourd’hui connue de façon définitive, immuable. Il se fâchait, si l’on émettait là-dessus quelque doute. Comme j’avais plaisir à le voir et à jouir de son humeur pittoresquement quinteuse, je lui accordais ce qu’il voulait ; et même que son énorme bouquin sur les fonctions du cerveau conserverait son actualité au delà de trente ans. Il l’a déjà entièrement perdue. Chacun peut parler d’après son