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LE STUPIDE XIXe SIÉCLE.

était pur comme une âme d’enfant. Le ciel d’un bleu angélique. D’un vieux couvent désaffecté, converti en maison de fous, me parvenait, de temps à autre, un cri aigu et monotone, que je reconnaissais bien, pour en avoir entendu de semblables, jadis, à Sainte-Anne (service du docteur Ball), Bicêtre, La Salpétrjère, etc… Ce cri sans substance des aliénés, comme suspendu au-dessus du vide, est caractéristique. Il remue le cœur, ainsi qu’un deuil immense et latent. Je songeais, en l’écoutant, aux âmes de mes contemporains, et des pères et grands-pères de mes contemporains assiégées par la demi-douzaine d’insanités solennelles, doctrinaires, dogmatiques, que j’analyse et que je constate ici, assaillies et désorbitées, et se réfugiant dans ce cri suprême de l’humain qui se déshumanise. Avec une remarquable lucidité, due sans doute à la transparence de l’atmosphère, et aux lignes des vieux et mystérieux monuments triomphants, posés là par les proconsuls romains, je me disais : « C’est bien cela. Où le religieux priait, dans une cellule visitée par la haute Raison, qui distingue et équilibre l’homme, la folle crie aujourd’hui, la pauvre folle sur qui pèsent, sans qu’elle s’en doute, des années et des années de docile abrutissement par l’ambiance. À force d’affirmer la servitude héréditaire, ces docteurs de néant ont fini par la créer. Déjà nous voyons monter les suicides d’enfants, dernier terme, aboutissement fatal, de la pression psycho-sociale ; car l’enfant est le grand réactif du milieu. » Ainsi songeais-je, et peu à peu, comme dans un