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STUPIDITÉ DE L’ESPRIT POLITIQUE.

trats eussent été des héros, s’ils avaient résisté à la complaisance politique, qui est la gangrène de leur haute et redoutable profession. Ils s’écroulèrent, entraînant avec eux le grand intérêt social dont ils avaient la garde, et fournissant ainsi à l’esprit révolutionnaire son principal et son plus dangereux argument.

Car ce sont les mauvais magistrats qui font les peuples enragés.

Un ministre de la République, fort intelligent et bon juriste et qui a fait ses preuves pendant la guerre, me disait récemment : « C’est curieux, plus les magistrats sont élevés dans la hiérarchie judiciaire et plus ils sont dociles quant au pouvoir central. Rien n’égale la servilité de la Cour de cassation. » La chose est facile à comprendre, d’après ce que nous venons d’écrire. Les magistrats de l’ordre le plus élevé, les magistrats de la forme pure et du Droit en quelque sorte métaphysique, sont aussi les plus centralisés de tous. Ils sont au sommet d’une pyramide, sans communication avec les vivants, dont ils débattent les intérêts. Bien qu’ils n’aient plus grand’chose à attendre de l’État, la revanche du réel sur l’irréel les pousse à subir secrètement, docilement, les suggestions et impulsions de cet État, et c’est ainsi que le summum jus tend à devenir la summa injuria. On l’a vu au moment de l’affaire Dreyfus, où les juifs, devenus maîtres de l’État, se sont trouvés, du même coup, les maîtres de la Cour suprême, et l’ont amenée à l’acte inouï (et historiquement sans précédent) de