Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/207

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rare et difficile. Mais son embarras ne durait guère. La plupart de nos trouvailles étaient vénéneuses. Le moindre champignon coupé devenait bleu, puis noir au contact de l’air. Toute racine ou tige fendue laissait échapper un suc âcre et brûlant, dont une goutte sur le doigt suffisait à provoquer un panaris. La nature exprimait ainsi aux Bouze de toutes les époques sa fureur d’être molestée : « Je suis comme ces plantes, murmurait Savade. Irrité par le milieu, produit de la race, je me montrerai cruel, implacable. Tu verras, Canelon, la Révolution ! Tu verras si je répandrai mon venin ! » Le plus souvent ces promenades avaient lieu le dimanche, et j’obtenais de Trub qu’il nous accompagnât. Il était délicieux de voir ce petit homme courir et bondir dans la campagne comme un cheval échappé ; Bouze suivait d’un regard étonné ce singulier botaniste, cherchant à graver son visage et sa cravate dans son esprit, pour le refuser aux examens. Trub me donnait des nouvelles de l’hôpital Typhus où rien n’était changé. Boridan, Quignon, Dabaisse, Charmide, tout cela me semblait loin, maintenant ! Parfois des paysans rapaces, des propriétaires ou des gardes champêtres venaient se plaindre à Bouze de ce que nous avions franchi le mur de leurs jardins ou piétiné leurs champs. Notre maître ne répondait point ou bien, montrant du doigt le rustique irrité, il l’étiquetait d’une moquerie en latin…

Je fréquentais la Faculté le plus possible. J’y allais même en dehors des cours et du laboratoire. Je m’y liais avec des condisciples plus avancés dans leurs études. Ils parlaient sans cesse de leur avenir, de leurs rivalités, et de celles de leurs maîtres, des coteries d’où chacun visait et tirait sur l’adversaire, des intrigues nouées entre les professeurs, les Académiciens, les politiques. Souvent la réception d’un élève ou son refus déterminait une de ces décorations dont le personnel de l’Université est si friand. On se répétait à l’oreille des anecdotes scandaleuses qui parvenaient bientôt aux huissiers et garçons de salle. Ces causeries en