Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/253

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homme. Aussi cette science dont ils se targuent n’a chez eux aucune variété, porte la marque universelle d’un esprit égoïste et étroit.

Un des célèbres adversaires de l’idéal, que l’on citait avec admiration, était le physicien Vomédon, vieillard courbé, aux yeux clignotants sous d’épais sourcils, à la démarche rustique. Parmi les ennemis de Dieu, Vomédon était le plus déclaré, le plus intransigeant. Le meilleur de sa réputation tenait à ce que, le vendredi saint, il descendait devant sa maison manger du boudin en compagnie de sa nombreuse famille. Il en distribuait aux passants, observant avec ironie que la foudre ne lui tombait pas sur la tête. En toutes circonstances, agapes, banquets, réunions, cérémonies publiques et privées, il démontrait, par un long et filandreux discours, que l’espoir en Dieu et en l’immortalité de l’âme est la plus redoutable chimère capable d’empoisonner l’existence d’un bipède raisonnant, d’un bipède physicien, d’un bipède philosophe, d’un bipède progressif. Il développait cette thèse quotidienne dans un petit journal, Le Prêtre fouetté, dont quelques banquiers juifs faisaient les fonds. En somme, cette impiété affichée produisit d’excellents résultats. Grâce à elle, Vomédon entra d’emblée au Parlement et fut, ainsi que Crudanet, Cloaquol et quelques autres, à cheval sur tous les pouvoirs. Il guettait les morts, se ruait sur leurs places chaudes, touchait à tous les guichets, criant sans cesse misère, casant dans les sinécures nombreuses et lucratives ses fils, ses gendres, ses amis, ses connaissances, ne négligeant jamais aucun titre, aucun emploi, si minime qu’il fût. Il fallait que cette voracité fût chez lui poussée aux plus extrêmes limites, pour qu’on la remarquât. C’est qu’elle était phénoménale, comparable à celle de dix lions. Il mêlait admirablement son amour de l’argent et des honneurs à des déclamations désintéressées, à des tirades contre le Paradis, l’Enfer, le Purgatoire, le Saint-Esprit, les Saints et les Prophètes, à de honteuses flatteries pour les