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LES FOURNIER

minance manifeste de la facilité verbale sur la force de la pensée.

Trop de mots pour peu d’idées, telle est sa formule. Il en résulte une surabondance légèrement hagarde, qui ne permet pas la moindre hésitation au critique une fois prévenu. Pour prendre un exemple concret, l’école romantique de 1830, avec son boursouflement, son tourbillon d’images et ses égarements philosophicocandards, est un rassemblement d’hérédos de choix. Ils s’étaient attirés les uns les autres, par cette propension naturelle qu’ont les anormaux à se rejoindre. Je prie qu’on ne voie là aucun blasphème, ni aucune raillerie de mauvais goût. Nous sommes dans le domaine de la froide constatation, rien de plus. Les guerres du premier Empire, avec leurs excès, avaient facilité chez nos aïeux, à travers toute l’Europe, la cueillette du tréponème ; et, à la seconde génération, cette abondante moisson leva en écrivains lyriques, épiques et dramatiques, d’une belle fougue, mais remplis de trous creusés par le daimôn. Quant à Bonaparte, sa qualité d’hérédo est inscrite dans ce fait qu’il était atteint du mal appelé pouls lent permanent, ou syndrome de Stokes Adam, universellement reconnu aujourd’hui comme un stigmate tréponémique, à côté de la céphalée persistante, de l’enchifrènement perpétuel et de l’épilepsie larvée. Ainsi s’expliquent cliniquement, et le plus naturellement du monde, les aberrations politiques et diplomatiques de ce génie militaire. J’espère que l’effarant Masson Frédéric ne va pas prendre acte de cette remarque pour ajouter cinq autres pierres tombales, — je veux dire cinq nouveaux volumes, — au monument de sottise documentaire sous lequel il a écrasé son héros.

J’ajouterai, pour finir, que, depuis vingt ans exactement, je n’ai pas eu l’occasion de rencontrer mon condisciple Edmond Fournier. Il sera le premier surpris en lisant — s’il la lit — sous ma plume cette apologie extensive de ses travaux et de ceux de son père. Rien ne démontre mieux l’avantage d’une carrière continuée familialement. Si Edmond Fournier n’avait pas eu à sa disposition les dossiers du professeur Alfred Fournier, sous les yeux cette longue expérience, il n’aurait pas écrit les ouvrages incomparables qui bouleversent de fond en comble le problème des dégénérescences et ouvrent sur l’hérédité des fenêtres nouvelles.