Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/452

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d’homme de lettres et de critique, comment il a obtenu une collaboration de vingt ans à la Revue des Deux Mondes et un fauteuil à l’Académie, je répliquerai : par la platitude. Quelques-uns lui ont donné parce qu’il avait l’attitude du quémandeur. D’autres lui ont donné pour ne pas donner à son concurrent. C’est l’histoire de son élection à l’Institut. D’autres lui ont donné parce que, étant nul, il n’offusquait pas. Il a bénéficié consécutivement de la charité, de la rancune, et de la méfiance. Il a tiré profit des oublis, tel ce personnage de Hernani qu’une erreur de tutoiement fait grand d’Espagne. Il a ramassé des fonctions et des titres en aidant à mettre des paletots, en encensant d’influents vaniteux, en fermant des portes au nez des pauvres, en répondant : « Le maître n’est pas là ». À quoi l’on pouvait répliquer : « Oui, mais le domestique y est ». Son fauteuil est fait d’ancien paillasson et, comme il le sait, il enrage.

Coppée, le bon et merveilleux Coppée, avait coutume de dire : « On le croit doux, mais il a son mic ». Et il expliquait que ce « mic » était une pointe dure et colère, cachée dans l’estompé du visage. Que de parties de rire nous avons faites avec Coppée, au souvenir de ses réunions acadé-mic, à travers lesquelles on voyait circuler la silhouette d’émouchet du seigneur d’Haussonville, la physionomie mélancolique de Melchior de Vogüé, ou bien, trottinant et affable, le marquis de Ségur !

Le seigneur d’Haussonville est vain et se croit malicieux. Parlez-moi d’un véritable libéral. Il a pour les maîtres du jour, quels qu’ils soient, un respect considérable, et quand il va leur faire visite, il laisse son ironie dans l’escalier. La démocratie lui semble un flot irrésistible et il s’y baigne en souriant, avec un caleçon d’ancien régime. Il me représente le conservateur type, qui croit que le révolutionnaire a raison, qui porte en épingle de cravate une fidélité de bon ton, et meurt du désir d’un portefeuille dans un cabinet radical. Il parle avec respect des assemblées, des droits de l’opinion, du suffrage souverain, et il daube sur les convictions fermes, il les juge trop réactionnaires. Ce genre est affreux. On l’excuse en disant qu’il a hérité des opinions « avancées » de Mme de Staël. Alors, qu’il coiffe le turban et n’en parlons plus.

Melchior de Vogüé, qui avait des parties de véritable écri-