Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/460

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raconter ses souvenirs du procès Bazaine, qui étaient du plus vif intérêt et d’une sobriété toute militaire. Freycinet aussi fut très intéressant, en dépit de sa petite voix pâle de convalescent pressé. En revanche, le général de Galliffet, avec ses joues creuses, son teint de brique et son débit volontairement brutal, fit mauvaise impression. « Il est tellement dur à cuire qu’il en est coriace, — murmurait Magnard, — on n’est pas briscard à ce point-là. Il en remet. » C’était tout à fait mon avis. Avec son tact ordinaire. Mme Adam menait, guidait cette conversation de vingt-cinq convives et en atténuait les pointes trop acerbes.

Le grand romancier Henry James a coutume de dire : « Vos dîners, à vous autres Français, ressemblent toujours un peu à des séances de la Convention ». C’est exact. Nous gesticulons, nous nous coupons la parole, nous multiplions les ripostes. Cela tient aussi à ce que nous buvons du vin et mangeons une véritable cuisine, au lieu que la coction anglaise, oscillant entre le surépicé et le fade, stimule le palais mais non l’esprit. Le pickles est une hérésie. Donc, à un moment donné, la causerie générale vint sur la Commune, sujet dangereux, et que Mme Adam, malgré toute son adresse, n’avait pu éviter. Galliffet s’exprima si cruellement sur le compte de malheureux bougres, évidemment fautifs et quelques-uns même criminels, vu les circonstances, mais après tout rudement châtiés, que mon père le redressa, puis se fâcha. Cela faillit mal tourner. D’un souvenir algérien, le Duc d’Aumale apaisa les flots irrités. Alors Magnard, dans son coin : « Il y a vingt ans que ces choses ont eu lieu. Elles sont aussi irritantes qu’hier. Il n’y a que la mort pour calmer les fureurs humaines…, et encore !

— Absolument, » répondait Calmette, homme doux et conciliant, que la mort devait prématurément calmer.

Vers cette époque, Mme Adam voulut se décharger du poids de la rédaction de la Nouvelle Revue, — sauf la partie de politique extérieure et les chroniques militaires, — sur quelques jeunes écrivains. Elle avait comme secrétaire de la rédaction Claude Rajon, aujourd’hui député. Elle essaya, comme secrétaire général, l’avocat Charles Philippe, comme corédacteurs en chef Georges Hugo et moi. Le projet de transformation de la revue comportait la collaboration assidue de Léon Bourgeois, de MM. de Marcère et Cavaignac, plus une chronique