Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/565

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de ne pas déplaire à leur ancien des Débats, considéré justement comme leur maître à tous. Je vous conterai plus tard comment la critique dramatique, dans les derniers temps de l’Entre-deux-guerres, avait disparu du même coup que la critique littéraire, cédant la place à une vague publicité.

Vers la mi-printemps, Mme de Loynes se retirait dans une grande villa démodée, charmante, entourée de jardins, au Parc des Princes. Elle continuait d’y recevoir et d’y donner à dîner, avec la même grâce et au milieu de la même abondance qu’à Paris. Pour les sans automobiles c’était un petit voyage, au retour surtout, par le Bois désert et le lointain Auteuil. Néanmoins tous les habitués se retrouvaient là au grand complet et les menus ne subissaient aucune modification fâcheuse. Après le repas, dans les très beaux jours, on descendait, par le perron, faire un tour le long des allées. Plus habituellement, on passait dans une vaste véranda vitrée, où se trouvait aussi un billard. Lemaître arborait son alpaga gris, son chapeau de paille. Arthur Meyer se plongeait dans un smoking étincelant, qui lui donnait l’air d’un crustacé à tête d’hébreu. Quand il y avait de la pluie ou de l’orage, les boyards ramenaient les autres dans leurs coupés ou leurs limousines, à moins que ce ne fussent les autres qui prissent les boyards dans leurs locatis, en cas de coliques du cocher, du cheval ou du chauffeur, ou de réparation de la voiture. J’ai remarqué que les gens très cossus sont souvent victimes des fantaisies de leur domesticité et sevrés de leurs beaux véhicules, ou qu’ils hésitent à s’en servir au delà d’une certaine limite. La grosse fortune comporte un terrible esclavage, qu’ignorent les petites bourses. Elle n’est enviable que de loin.

Il ne m’est pas possible, au moment où j’écris, et vu les circonstances de guerre, de vous raconter ce qui se passa, entre 1900 et 1908, dans ce milieu parisien, académique et politique qu’était le salon de Mme de Loynes, centre de la Patrie française. Ce sera pour un prochain volume. Mais, dès maintenant, vous connaissez le décor et les principaux acteurs ou les intermédiaires de tant d’événements qui passionnèrent l’opinion. Mon intimité avec Mme de Loynes et Lemaître, nos vues communes sur les points essentiels, font que j’ai là-dessus des lumières que d’autres n’ont point. C’est ainsi qu’un homme