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CHAPITRE VII


Chez « Fœmina » (suite) : le Dr  Henry Vivier. — Ugo Ojetti.

Le psychologue Antoine Bibesco. — Gaston Calmette.
Vonoven. — Francis Chevassu. — André Beaunier. — Forain.



Or, advint qu’ils se rencontrèrent »… car le docteur moral qu’est « Fœmina » devait, de toute éternité, comprendre la grandeur du médecin étourdissant, du guérisseur que fut notre cher ami Henry Vivier.

La première fois que je vis Henry Vivier, ce fut par un jour d’été ensoleillé, sur la route allant de Champrosay à Draveil. Fiancé à la fille d’Alfred Stevens, il marchait radieusement beau, à côté d’elle radieusement belle, précédé de ses trois beaux-frères, Léopold, Jean et Pierre Stevens, qui n’ont pas précisément l’air de gringalets. Tous les cinq comptaient déjeuner dans une auberge, après une petite marche militaire, destinée à ouvrir l’appétit. La mine fière et réfléchie de Vivier me frappa. Il avait la barbe blonde et le cheveu blond ardent du northman devenu Normand, l’œil doré, joyeux et pensif, les traits fins, réguliers, comme concentrés autour d’une pensée de feu ; et sa voix, légèrement enrouée, prenait soudain d’ardentes inflexions. Je leur dis : « Vous ne passerez pas devant chez nous sans prendre un joyeux vermouth. Il est rustique, mais pas trop mauvais.

— Il ferait beau voir, — répliqua Vivier, — qu’on refusât un vermouth par un temps pareil ! » Puis, montrant le ciel bleu : « Pas un nuage, telle sera notre formule, si vous le voulez bien, mademoiselle et messieurs ». Car il prenait volontiers, pour s’amuser, le ton épique.