Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/659

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phrase, dont le sens était : « À bientôt mon tour ». En effet, quelques heures après, ce vaillant tombait, les armes à la main, en entraînant, comme Montesquiou, ses soldats à l’assaut. Combien, parmi les hommes jeunes et pleins d’ardeur qui fréquentaient le Weber et circulaient entre les tables, entre dix heures du soir et une heure du matin, combien ont donné tout leur sang à la patrie ! Quel immense et funèbre cortège nocturne de ces braves dans la rue Royale !

Ce volume n’est pas le dernier de mes Souvenirs. Loin de là. Quand j’ai commencé cette série, au mois de mars 1914, par la publication de Fantômes et vivants, je savais parfaitement que la conflagration menaçait — L’Avant-Guerre avait paru, vers la même époque, un an auparavant — et il me paraissait utile de dresser en quelque sorte le bilan intellectuel et moral de l’entre-deux-guerres, une des périodes les plus pathétiques de l’histoire de mon pays. Les circonstances m’avaient mis aux premières loges de ce spectacle d’insouciance, d’ignorance et aussi de bonne volonté. Je pensais que nos écoles, nos erreurs, nos folies, nos piétinements devaient enseigner nos successeurs. Je le pense encore aujourd’hui, mais beaucoup de jeunes gens sont morts, hélas ! au champ d’honneur, morts pour le salut de la France et n’assisteront pas à son relèvement.

Aussi le lecteur voudra-t-il bien excuser le ton, futile en apparence, de quelques-unes de ces pages véridiques. Il était indispensable de donner, à l’époque ainsi peinte, ses couleurs réelles, trop souvent dissimulées par les mémorialistes à la guimauve et les historiens académiques. Puissé-je avoir réussi dans ma tâche !