Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/72

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Personnellement, j’éprouvais une vive sympathie pour lui, car il savait parler aux jeunes gens, il avait en toutes choses et en littérature une opinion solidement motivée, et il donnait une impression de rare énergie, de sécurité. Il y a ceux qui diminuent les choses et les gens, les milieux où ils fréquentent, qui sont marqués du signe algébrique « moins ». Édouard Drumont était marqué du signe « plus ». On avait plaisir à le voir arriver et, dès qu’il ouvrait la bouche, à être de son avis. Il faisait des armes avec furie, de la façon la plus dangereuse pour lui comme pour son adversaire, en risque-tout. Mon père disait : « Drumont a raison de s’entraîner, car le livre qu’il est en train de préparer ne sera pas une petite affaire. »

Quel était ce livre ? Je n’interrogeais pas là-dessus, ayant toujours eu horreur des questions indiscrètes. Mais quand nous tirions, Drumont, Alphonse Daudet et moi, dans notre petite salle d’armes du rez-de-chaussée, avenue de l’Observatoire, on ramassait, à chaque séance, une demi-douzaine de fleurets cassés.

À cette époque lointaine, en effet, les règles de l’épée étaient inconnues, les maîtres Ayat et Baudry n’avaient pas encore bouleversé la technique des armes et du duel.