Page:Léon Frapié - La maternelle, 1904.djvu/103

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des regrets, à des aspirations… Parfois, je suis effrayée de ma perspicacité, en quelque sorte inavouable.

J’ai commencé par Adam, continuons l’exhibition.

Le lundi, parmi les élèves qui ont encore plus mauvaise « touche » que d’habitude, la palme revient à Bonvalot et la normalienne peut lui prodiguer les leçons de morale ! Il siège à la dernière rangée des tables ; il constitue le type « inquiétant » : blême, les pommettes vieilles, sinistres, la bouche torse, les yeux coupants, il a la manie de crachoter continuellement ; du reste, il doit fumer. On rencontre, dans le quartier, des adultes à sa ressemblance, de ceux que les faits divers des journaux désignent comme de « pâles voyous ». Ses joues se plissent d’un rire jaune, pas gai. Il est détesté par ces dames et même par Mme Paulin, sans motif bien précis, car on ne remarque pas qu’il dévalise les petits ou qu’il batte les filles plus que ne le font les autres grands. À vrai dire, on ne le punit pas énormément : on l’exclut, du regard on le rejette ; il perçoit la réprobation et s’endurcit. Je ne peux considérer son long cou sans un malaise étrange et cet enfant au tablier rapiécé, aux souliers troués m’inspire encore plus de pitié que de répulsion : une pitié glaciale, frissonnante… Ses cheveux laids, d’un châtain terni, mal plantés, encombrent ses tempes et paraissent toujours trop longs. Je retrouverais Bonvalot dans les journaux illustrés : tête d’assassin, tête d’assassiné.