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la maternelle

— Quel sale temps ? Vous en avez du balayage dans ce préau ! Et ce poêle combien peut-il brûler de charbon ? C’est rudement commode votre lavabo ; nous, qu’il faut monter l’eau de la cour au cintième !…

J’ai presque toujours les mêmes visiteuses : la mère de Gabrielle Fumet, celle de Louise Guittard, la mère Doré.

La mère de Virginie Popelin, qui laisse souvent passer l’heure, me donne deux sous de pourboire toutes les fins de quinzaine.

Quel bouleversement, la première fois ! Ma main qu’il a fallu avancer… ces deux sous tout chauds… la marque décisive de mon métier, quoi ! (Le premier argent du déshonneur doit être ainsi difficile à tenir.) Mais là, pas de gastralgie pour m’excuser ; là, en conscience, je ne pouvais refuser que par orgueil, et je ne veux pas faire la fière. Enfin une pensée est venue, à point, aider mon geste ; au déjeuner, il se trouve toujours des paniers dégarnis : il est bon, par conséquent, d’avoir quelques deux sous de pain à distribuer. J’ai accepté, pour mes petits becs affamés, mentalement ; j’ai pu articuler le remerciement et corriger la pourpre honteuse de mon visage par un regard presque content, presque brave.

Halte-là ! je ne dis pas tout et je me fais meilleure que je ne suis : en un brusque frisson j’ai revécu mes lointaines ambitions de jeune fille et c’est surtout l’amertume du regret qui m’a décidée à empocher un pourboire.