Page:Léon Frapié - La maternelle, 1904.djvu/287

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tie, matée, j’ai pour eux une bonté de bête de somme docile, éclopée ; ils peuvent me tirailler, m’appeler, me faire baisser et relever cent fois de suite, ils reçoivent tous le même sourire usé, complaisant. Et Mme Paulin peut prendre ses airs penchés !

Une sorte d’hébétement me béatifie ; je juge les choses en « bonne femme ». Je ne pense plus ou je pense court, niais, superficiel.

Les tout petits, qui sont encore, dans une certaine mesure, de jeunes animaux, me sentent une créature infime, pareille à eux ; ils mirent leur passivité dans la mienne ; le plus qu’ils peuvent, ils se frottent à moi, me tendent leurs yeux, leurs nez. Parfois, devant le lavabo, quand les classes fonctionnent, je baise un petit museau mâchuré, qui comprend bien que je ne suis pas d’un acabit raffiné.

J’ai constaté que plusieurs enfants ne savent pas embrasser ; oui, des enfants, la réalisation, le symbole du baiser ! C’est mignon, faible, à peine éclos, ça devrait battre du bec vers vous comme ça ouvre les yeux… Non ! ce geste ne se pratique pas dans leur entourage, on ne leur a pas appris, ils n’ont pas eu l’occasion… Ils veulent bien, ils fouillent, ils appuient leur bouche maladroitement. Richard — je l’ai vu souvent au clignement de ses yeux, à une nervosité des lèvres, — il essaierait bien, mais il ne peut pas se décider…

On n’imagine pas ce singulier effet : la première fois que, sur le point d’embrasser un enfant, je me