Page:Léon Frapié - La maternelle, 1904.djvu/338

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

leurs vêtements loqueteux, leur chair creuse et tarée attendaient…

Pluck ne toussait plus, parti déjà dans une espèce de sérénité moribonde. (Le médecin a dit que ce n’était pas la peine de l’inscrire à la grande école : octobre est trop loin pour sa frêle poitrine.) Et, justement, non loin du groupe, reléguée dans un coin pour tout le temps de la photographie — Berthe Hochard demeurait pétrifiée dans l’éternelle tranquillité. Alors Pluck et Hochard m’ont fait l’effet de deux libérés « ayant fini de souffrir ».

Un frisson m’a saisie : quel tribut devaient encore payer les camarades pour rejoindre les deux arrivés !

— Mes enfants, n’est-ce pas ? il ne faut pas que je vous abandonne ? Je suis des vôtres !

Et pourtant, machinalement, j’ai avancé les mains pour me garer ; pensez donc ! cette immense moisson de larmes, de sang, d’abjection, promise par une école de quartier pauvre !

Imaginez le « futur » dévoilé : au premier regard, on s’enfuirait éperdu d’horreur !… Ces petites têtes, ces petits corps, ces fragilités affamées de douceur, pensez donc cette chétive enfance pantelante, sans rien devant les ronces, les crocs, les griffes de l’avenir !

Mais, si l’on pouvait seulement prévoir approximativement, on ne résisterait pas à devenir fou d’épouvante : ça, ça qui vous regarde, cette misère deviendra grande et vivra ! ça, ça, ces douces petites lèvres qui éclosent, c’est la matière, le fond, la substance de la misère future ! Vous savez bien, les crimes, les suicides, les trafics odieux, toute l’abo-