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Page:Léon Frapié - La maternelle, 1904.djvu/340

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Alors, ce fut étrange, il me sembla d’abord que tous ces minois innocents agrandissaient une supplication vers moi, ils comprenaient, ils demandaient grâce. L’effroi béant des yeux me saisissait et faisait lentement mon sang se retirer et mon souffle cesser.

Puis cette terrifiante scène exista : ces pauvres yeux avaient une voix et criaient : Nous sommes perdus ! Nous savons ! Tu nous abandonnes ! Et tu dissimules bien inutilement : il y a longtemps que c’est décidé… Tiens ! M. le délégué vient te chercher avec son visage bienveillant.

La paralysie me clouait ; j’essayai pourtant de me retourner pour voir.

Ensuite je ne sais plus… Des heures s’étaient écoulées, il ne restait que deux ou trois enfants dans le préau. Je me rappelle la directrice :

— Vous avez été indisposée, Rose, je vous dispense du service, Mme Paulin le finira. Vous pouvez vous en aller.

Arrivée à ma porte, je n’ai pas voulu monter, j’ai eu peur de la solitude dans ma chambre malchanceuse.

J’ai préféré continuer mon chemin sans but déterminable. D’après mon imagination confuse, « l’on m’attendait », je devais apparaître à quelque endroit du quartier pour empêcher un grand malheur. Et je voulais discuter avec moi-même : irais-je demain chez mon oncle ? Il me semblait qu’en marchant je trouverais l’irréfutable motif à rester femme de service. Et cette découverte — dans la