« Il est honorable pour toi de demeurer ici ; il est beau pour la colombe d’y passer sa vie. Tu n’auras point à te précipiter vers le mortier, à t’inquiéter de manier le pilon. Ici, c’est l’eau qui moud le blé, c’est la chute de la cataracte qui broie le seigle[1], c’est la vague qui nettoie les vases, c’est l’écume de la mer qui les blanchit.
« Ô mon beau village d’or, mon séjour le plus aimé sur cette terre, tu es situé entre les prairies qui couvrent tes plaines et les champs qui couronnent tes hauteurs ; tu es bordé de charmants rivages, et sur ces rivages sont amarrés de jolis bateaux, avec lesquels la belle colombe pourra voguer, le gracieux oiseau se balancer sur les ondes ! »
Alors, commença le festin des noces. On servit à la grande foule à manger et à boire ; on fit circuler de vastes plats de viandes, et des gâteaux succulents, et de la bière d’orge et du moût de froment.
« Les vivres, les boissons abondaient dans les plats rouges, dans les cruches brillantes ; il y avait d’innombrables pâtés et du pain richement frotté de beurre ; il y avait des lavarets et des saumons à couper en morceaux avec les couteaux d’argent, avec les couteaux d’or.
« Et la bière non achetée, et l’hydromel que nul n’avait à payer coulaient à flots du haut des tonnes, la bière arrosait les lèvres, l’hydromel réjouissait le cœur.
« Qui se présenta pour chanter, qui s’offrit pour faire éclater la science du chant ? Le vieux, l’imperturbable Wäinämöinen, le runoia éternel, se mit lui-même à chanter, à se lancer dans la carrière du chant. Il éleva la voix et il dit : « Ô mes chers frères, mes bons amis, mes compagnons dans la puissance du verbe, dans les dons de la langue, prêtez l’oreille à mes paroles ! Rarement deux colombes se rencontrent face à face, rarement
- ↑ On voit qu’à l’époque où cette runo fut composée, les moulins à eau existaient déjà dans la localité d’où elle est originaire. Voir page 92, note 1.