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trente et unième runo

Et quand un peu de temps se fut écoulé, la malheureuse femme mit au monde un fils. Quel nom fut donné à ce fils ? Sa mère l’appela Kullervo[1], mais Untamo l’appela Sotjalo[2].

On coucha le petit enfant, le pauvre orphelin, dans un berceau.

Puis on le berça pendant un jour, pendant deux jours. Le troisième jour, l’enfant agita tout à coup ses pieds et se roidit de tous ses membres. Il déchira son maillot, se dressa sur sa couverture, brisa son berceau de bois de tilleul et mit ses langes en pièces.

Ainsi, l’on reconnut que la vigueur lui était venue, qu’une séve puissante bouillonnait dans ses veines. Untamo commença à espérer qu’il deviendrait un homme d’une grande sagesse, un fier et indomptable héros, un esclave[3] valant plus de cent, plus de mille esclaves.

Mais, au bout de deux mois, au bout de trois mois. lorsqu’il n’était encore pas plus haut que le genou, l’enfant se mit à songer en lui-même et dit : « Si je devenais un peu plus grand, si mon corps prenait un peu plus de force, je vengerais les douleurs de mon père, les angoisses de ma mère ! »

Untamo entendit ces paroles, et il dit : « Cet enfant sera le fléau de ma race ; Kalervo revit en lui. »

Et les hommes et les femmes tinrent conseil. Ils se demandèrent où ils pourraient transporter l’enfant, où ils pourraient l’exposer à une mort certaine.

On l’enferma dans un tonneau, et on roula le tonneau dans la mer, au milieu des flots orageux.

Deux nuits, trois nuits s’écoulèrent. On alla voir si l’enfant était noyé, s’il était mort dans le tonneau.

L’enfant n’était point noyé, l’enfant n’était point mort dans le tonneau. Échappé de sa prison, il se balançait

  1. De Kulta (or), par conséquent objet précieux et digne d’amour. (Voir page 15, note 1.)
  2. Force du combat, de sota (combat).
  3. Voir page 84, note 1.