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cinquantième runo

dieux à la Finlande, il laissa la joie éternelle à son peuple, les runot sublimes aux fils de sa race.

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Maintenant, je dois clore ma bouche, je dois nouer les liens de ma langue, abandonner de nouveau l’œuvre du chant, laisser la voix des runot. Le rapide coursier repose volontiers ses poumons, après une longue carrière, la faucille s’émousse, après la moisson de l’été, le ruisseau sommeille dans les bras du fleuve, après ses bonds et ses méandres, le feu lui-même s’éteint de fatigue, après avoir flamboyé toute la nuit. Pourquoi donc le chant ne s’amortirait-il pas, pourquoi ne ferait-il pas silence, après les joies prolongées, les derniers accents du soir ?

J’ai entendu que l’on disait jadis que d’autres s’exprimaient ainsi : « La cataracte bondissante ne dépense point toute son eau ; le bon chanteur n’épuise point tous ses chants ; le chant qui paraît trop court réjouit davantage que celui dont la longueur fatigue déjà avant qu’il soit fini. »

Ainsi donc, je dois m’arrêter et terminer ici ; je dois tenir secret ce qui me resterait encore à dire ; dévider mes chants comme un peloton de fil, en faire un écheveau[1] et le suspendre à la solive du toit, derrière la forte serrure d’ivoire. Et de là, ils ne pourront s’échapper, ils ne pourront de nouveau éclater au grand jour, avant que la barrière d’os ne soit brisée, que la mâchoire close ne soit violemment ouverte, que les dents ne soient séparées, que la langue ne soit rendue libre et flexible.

Car, enfin, pourquoi chanterais-je ? Si je remplis les bois, si je fais retentir les vallées de mes runot harmonieuses, aucune mère ne vient les écouter, aucune amante ne vient les admirer ; seuls, le pin les écoute, les branches

  1. Voir page 3.