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Page:Lévi - L’Inde civilisatrice, 1938.djvu/21

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je m’achoppe à l’insurmontable difficulté des choses indiennes, irréductibles à nos manières de concevoir et de parler. Je ne sais de quel nom la désigner, car l’Inde ne lui a pas donné d’appellation. Elle est « la religion », comme il y a l’air, et l’eau, et le ciel. Si on interroge un Hindou sur sa croyance, il répondra qu’il est Vaiṣṇava « sectateur de Viṣṇu », Çaiva « sectateur de Çiva », qu’il adore Rāma, Kṛṣṇa, la déesse Durgā, ou Gaṇeça à la trompe d’éléphant, etc. Mais les adorateurs de Viṣṇu et de Çiva, et de Rāma, et de Kṛṣṇa, et des innombrables divinités de ce panthéon éternellement ouvert, quelles que soient leurs rivalités, leur malveillance, leur hostilité réciproque, ont la conscience d’appartenir tous au même système religieux, essentiellement défini par l’exclusion de l’étranger. Dans ce cher pays du Népal, qui m’a laissé tant de délicieux souvenirs, où j’ai trouvé, contrairement aux pronostics, un accueil amical et chaleureux, j’en ai fait une expérience saisissante : je me rendais au temple de Paçupati, le Çiva local, consacré par une tradition reculée et par la dévotion de la dynastie actuelle. Les badauds ne manquent pas plus au Népal qu’ailleurs, et comme j’étais alors le seul Européen du pays, j’attirais les curieux. Abordé par un jeune savant qui m’adresse la parole en sanscrit, je lie conversation, à l’émerveillement de mon escorte, pour qui le sanscrit était chose sainte autant que fermée. Nous atteignons le seuil du temple, mon compagnon m’arrête tout net avec les propos et les formes les plus polis. J’avise un chien — pourtant le paria des animaux de l’Inde — qui ayant pénétré dans la cour s’y comportait de façon fort incongrue à l’étroit voisinage d’une statue de bronze. Et j’au-