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Page:Lévi - L’Inde civilisatrice, 1938.djvu/24

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Aucune n’a trouvé d’accents plus graves ni plus émus pour exalter la majesté divine, pour prêcher la douceur, la bonté, la maîtrise de soi, la patience, le sacrifice. Aucune n’a suscité plus de saints, obscurs ou glorieux. Les voyageurs se sont plu à décrire les excentricités fanatiques ou professionnelles des charlatans de sainteté qui déshonorent les pélerinages, les yogi voluptueusement étendus sur des pointes de clous, ou suspendus à des branches par des crochets en pleine chair, ou ces malheureux qui passent leur vie debout sur une seule jambe à marmonner une éternelle bénédiction. Le char de Jagannātha (de Juggernaut, comme transcrivent les anglais et comme on prononce trop souvent en France) a conquis une célébrité universelle ; on se représente, bien à tort, des milliers de dévots luttant pour se faire écraser à l’envi sous les lourdes roues en bois massif du véhicule transportant l’image de Viṣṇu « protecteur du monde » (c’est le sens du mot jagannātha). Le brahmanisme ne tient pas dans ces folies, qui d’ailleurs ne lui sont pas spéciales. Pour le saisir dans son essence, et dans son âme, et dans sa force, il faut pénétrer jusqu’à ces ermites discrets qui, loin des multitudes et du bruit, méditent pieusement sur l’Absolu, et n’interrompent leur méditation que pour offrir une gorgée d’eau au passant altéré ou une poignée de grains aux oiseaux du ciel ; il faut prêter l’oreille à ces maîtres de sagesse, installés parfois aux portes de la ville comme Rāmakṛṣṇa l’était récemment encore dans un faubourg de Calcutta, entourés de visiteurs attentifs qui viennent recueillir les propos de leur sagesse et de leur dévotion, détachés de tous les intérêts du monde, sans famille, sans foyer, sans ressources,