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LE NÉPAL


partage stable ; l’hégémonie erre au hasard sur l’étendue de cet immense territoire, et passe de l’Indus au Gange, du Gange au Dekkhan. Les capitales surgissent, resplendissent, s’éteignent ; les marchés, les entrepôts, les ports de la veille sont déserts le lendemain, vides, oubliés. De temps en temps, sur ce bouillonnement, une vague passe, retombe, et brise tout de proche en proche. Alexandre entre au Penjab, et le Gange lointain échappe à ses puissants maîtres ; les Anglais débarquent sur les côtes, et le Mogol est ébranlé. L’Inde qu’on se représente communément absorbée dans son rêve merveilleux et détachée du reste du monde est en réalité la proie banale où se rue la cupidité de l’univers fasciné. Après les Aryas védiques, les Perses de Darius ; puis les Grecs, et les Scythes, et les Huns, et les Arabes, et les Afghans, et les Turcs, et les Mongols, et les Européens déchaînés à l’envi : Portugais, Hollandais, Français, Anglais. L’histoire de l’Inde se confond presque tout entière avec l’histoire de ses conquérants.

Si l’Inde, par l’excès de son instabilité, était condamnée à manquer d’une histoire politique, elle aurait pu du moins posséder une histoire religieuse. Le bouddhisme faillit la lui donner. Née d’une personnalité vigoureuse que les travestissements du mythe n’avaient pu masquer entièrement, propagée par une succession de patriarches, réglementée par des conciles, patronnée par d’illustres souverains, l’Église du Bouddha se remémorait les étapes de sa grandeur croissante ; parue et publiée au cours des temps, elle ne se promettait pas une stupéfiante éternité ; elle fixait à sa durée un terme fatal, et pressée de conduire les hommes au salut, elle mesurait avec mélancolie les siècles parcourus, et les siècles encore ouverts devant elle. Retirés dans leurs couvents, les moines bouddhiques contemplaient sans doute les tempêtes du monde, comme les