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LE NÉPAL


des autres vallées, battirent en retraite devant la langue des Gourkhas, le Khas ou Parbatiya, né, comme les Gourkhas eux-mêmes, d’une fusion entre les éléments himalayens et les éléments hindous, graduellement envahi par l’Hindi des plaines au détriment du vieux fonds indigène, et colporté dans les districts les plus retirés par l’administration et par l’armée. Les corporations des Névars, déjà réglementées à l’hindoue par les conseillers de Jaya Sthiti le Malla, furent assimilées aux castes orthodoxes, et soumises comme elles à la juridiction d’un prêtre brahmanique.

La victoire des Gourkhas a consommé l’annexion du Népal à l’Inde brahmanique. Peuplé par des races anaryennes, converti et civilisé par le bouddhisme indien, conquis et absorbé par le brahmanisme hindou, le Népal a déjà parcouru les trois premières étapes de l’histoire de l’Inde ; entré tardivement dans le cycle, il lui reste encore à connaître la dernière phase, qu’il entrevoit dès maintenant, mais où l’Inde est depuis longtemps engagée : la lutte contre l’Islam et la mainmise de l’Europe. C’est là justement le trait original et l’intérêt essentiel de l’histoire du Népal. Ceylan est l’Inde arrêtée au stage du bouddhisme et déviée par la force prépondérante des influences étrangères ; le Cachemire est l’Inde même. Le Népal, c’est l’Inde qui se fait. Sur un territoire restreint à souhait comme un laboratoire, l’observateur embrasse commodément la suite des faits qui de l’Inde primitive ont tiré l’Inde moderne. Il comprend par quel mécanisme une poignée d’Aryens portée par une marche aventureuse au Penjab, entrée en contact avec une multitude barbare, a pu la subjuguer, l’encadrer, l’assouplir, l’organiser, et propager sa langue avec tant de succès que les trois quarts de l’Inde parlent aujourd’hui des idiomes aryens : un d’entre eux, l’hindi, est pratiqué par plus de quatre-vingt millions d’hommes !