Avec eux, avec l’armement et les munitions que les arsenaux népalais ne cessent pas de produire, le pillage du Tibet ne serait pas impossible, malgré les formidables obstacles dressés par la nature.
Mais à défaut du Chinois affaibli, une autre puissance, la Russie, qui refait l’Empire des Mongols, se charge de veiller sur le Grand-Lama. La vieille division des deux Églises bouddhiques reparaît en Asie, manifestée par le jeu de la politique Européenne : au Sud, l’Angleterre, maîtresse de Ceylan, tient sous son autorité directe la Birmanie, sous son influence le Siam, les deux grandes annexes de l’Église pâlie ; au Nord, la Russie réunit sous sa domination ou sa protection les tronçons épars de l’Église lamaïque, attachée au Grand Véhicule ; déjà, sous les tentes des Mongols, la grande Catherine passe pour une incarnation de la déesse Târâ, et le tzar pour un Bodhisattva. Le moindre mouvement des Gourkhas mettrait la Russie en branle, et provoquerait au Tibet une intervention que l’Angleterre veut en écarter à tout prix. Le Tibet entamé par les Russes, l’Angleterre serait entraînée à mettre aussitôt la main sur le Népal pour assurer au moins sa frontière. Voudra-t-elle devancer les événements, céder aux invitations pressantes des chauvins exaltés et succomber à la tentation d’arrondir par une conquête son domaine hindou ? On peut en douter. Le Népal n’a pas de quoi payer les frais d’une conquête. « Le jeu n’en vaut pas la chandelle », déclare expressément un familier du Népal, le Dr Wright. Le pays n’a d’intérêt que par ses cols, comme la voie de commerce la plus directe entre l’Hindoustan et l’Asie centrale ; mais la clientèle du Tibet, misérable et disséminée, ne promet à ses fournisseurs que de maigres bénéfices, et le jour n’est pas encore venu où l’industrie européenne mettra en exploitation les métaux précieux enfouis dans le sol tibétain.