Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/158

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quand nous autres Allemands nous ne sommes pas encore une nation[1] ! Je ne parle même pas de la constitution politique : je parle seulement du caractère moral. On pourrait presque dire que le caractère propre à l’Allemand est de n’en avoir pas. Nous sommes toujours les imitateurs jurés de tout ce qui vient de l’étranger[2]. »

Au reste, les accès de découragement sont rares chez Lessing et ne durent point. Il aime la lutte, il est de tempérament batailleur, et malmène rudement ses adversaires. Les théologiens qui eurent maille à partir avec lui dans la dernière partie de sa vie s’en aperçurent. Lessing avait commencé par penser comme son père, qui était pasteur orthodoxe, mais libéral et sans intolérance. Il admettait, comme lui, la conformité de la raison et de la foi, sans y voir de difficulté. Les wolffiens, qui dominaient alors dans l’enseignement et dans le clergé protestant, croyaient à la puissance de la raison, et, au nom de la logique, avançaient plus loin que Leibniz même ; mais, dès qu’ils craignaient que la religion ne pût s’alarmer ou la théologie réclamer, ils battaient en retraite, par piété plus encore que par timidité. Cette attitude hésitante, ces hardiesses suivies de recul, cet accord tout superficiel ne pouvait suffire longtemps à un esprit net et décidé comme Lessing. Il se résout à une démarche qu’aucun wolfien n’aurait risqué ni approuvée. Il rompt avec la révélation. Il veut montrer, non seulement

  1. Cité par Biedermann, II, 2, 342.
  2. Voyez dans la Dramaturgie (p. 114, édition Schröter und Thiele), le passage où Lessing, parlant du Siège de Calais de de Belloy, fait un retour sur l’Allemagne.