Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/226

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principe pour lequel les philosophes du XVIIIe siècle aient plus constamment combattu, avec plus de feu et d’habileté. Ils ont fini, en France du moins, par imposer ce principe, — un paradoxe, — comme un axiome évident par soi. Instruit par Malthus et Darwin, notre siècle y croit moins ; et renversant la doctrine de Rousseau, il admettrait plutôt que l’inégalité est la loi de la nature, et légalité le fait de la société. Mais vers 1780 le principe était, si l’on peut dire, dans la force irrésistible de sa jeunesse. Ses partisans, se sentant près de la victoire, redoublaient d’efforts. En Allemagne surtout, leur passion était vive. Nulle part la distinction des classes n’avait persisté aussi marquée, sans être adoucie, comme en France, par la politesse générale des mœurs. Au commencement du XVIIIe siècle, un noble allemand frayait sans répugnance avec les aventuriers français ou italiens, qui infestaient la plupart des petites cours allemandes. Il s’empressait même auprès d’eux avec une complaisance gauche et servile. Mais à aucun prix il n’eût consenti à partager le même banc, à l’école ou à l’église, avec un roturier de sa nation. Jusque dans la franc-maçonnerie, certaines loges composées de nobles faisaient des difficultés pour accepter des membres roturiers.

Bientôt, à mesure que la classe moyenne se reformait en Allemagne et prenait conscience de sa valeur, le privilège social de la noblesse commença à être battu en brèche. Il y a dans le ton de ces attaques un crescendo significatif. Vers 1750, des voix s’élèvent déjà contre les distinctions sociales que le hasard de la naissance ne suffit pas à justifier. On