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LA PHILOSOPHIE DE JACOBI

en parle sans prétention. En vrai poète, il sent Spinoza, il ne l’analyse pas. Il en goûte la forme pleine et abrupte, et les fortes expressions. Cette métaphysique est pour lui comme une vaste symphonie dont les harmonies le ravissent, sans qu’il cherche à en décomposer la structure ou l’orchestration. Il jouit simplement de l’entendre, et de se sentir disposé par elle à la contemplation de Dieu dans la nature. « Je ne puis dire que j’aie jamais lu de suite les écrits de ce grand homme ; que jamais l’édifice entier de ses idées me soit apparu devant les yeux dans son ensemble. Mes habitudes de pensée et de vie ne me le permettent point. Mais, quand je le lis, il me semble que je le comprends ; c’est-à-dire, il ne me paraît jamais se contredire ; et il exerce sur ma façon de sentir et d’agir la plus salutaire influence… Aussi ne m’est-il pas facile de comparer ce que tu dis de lui avec lui-même. La pensée et l’expression sont chez lui si étroitement unies que, pour moi du moins, on dit tout autre chose quand on n’emploie pas ses propres termes… Tu exposes sa doctrine dans un autre ordre et avec d’autres mots ; il me semble que la logique si parfaite de ces idées subtiles doit en souffrir souvent ». » Toute transposition de Spinoza paraît infidèle à Gœthe, tout commentaire suspect. Ou plutôt, le seul commentaire digne du texte est d’étudier la nature avec un respect religieux. Quand Goethe cherche les lois de l’optique, quand il observe les métamorphoses des plantes et le squelette des animaux, il sent la présence de Dieu même dans la sagesse infinie de la nature et dans la nécessité de ses lois.

Le panthéisme qui charmait Goethe et beaucoup de ses contemporains ne coïncide pas exactement avec la philosophie de Spinoza, telle qu’elle ressort aujourd’hui d’une étude scientifique et objective des textes. Leur imagination y mettait un peu du sien. Elle rapprochait ce panthéisme surtout logique de celui des stoïciens :

1. Briefwechsel zwischen Gœthe und Jacobi, p. 86. Lettre du 9 juin 1785.