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LA PHILOSOPHIE DE JACOBI

déric-Hcnri était le second. L’éducation de ces enfants fut confiée à un précepteur qui, par malheur, était médiocre. Le père ne sut pas suppléer à l’insuffisance de ce maître malhabile. Persuadé que l’aîné de ses fils, Jean-Georges Jacobi, était à tous égards supérieur au cadet, il eut le tort d’accabler celui-ci sous une comparaison continuelle, qui l’humiliait et le décourageait. C’était manquer de clairvoyance, car Jean-Georges Jacobi devait être plus tard un poète anacréontique, — on ne peut pas dire lyrique, — sans originalité et sans talent. C’était surtout manquer de tendresse, et faire cruellement sentir à l’enfant l’absence de sa mère. Frédéric-Henri Jacobi s’entendait reprocher sans cesse sa lourdeur d’esprit, son entêtement, son peu d’intelligence 1 . Il subissait tout cela sans révolte. Mais cette soumission même irritait son père davantage. Il y voyait la preuve d’une nature apathique et d’un caractère faible. Il eut mieux aimé que son fils donnât des signes d’impatience et de colère. L’enfant, silencieux et timide, se repliait sur lui-même, et le malentendu s’aggravait.

Rien ne perçait encore des qualités aimables et brillantes qui devaient se développer chez l’homme fait. Rien ne faisait pressentir la sensibilité vive et profonde (plus vive cependant que profonde), le goût et le talent de la conversation, l’instinct et la certitude de plaire. Docile à la suggestion, Jacobi se croyait tel qu’on lui reprochait d’être, et il demandait une consolation à de pieuses pratiques. Il se plongeait dans les livres d’édification. Il refusait de jouer avec les enfants de son âge, pour prier pendant des heures avec une vieille servante dévote. Aussitôt après sa confirmation, il s’affilia à une congrégation de piétistes. C’est ainsi qu’il devint, dès son enfance, comme il l’écrivait plus tard à Merck, « un enthousiaste et un mystique ».

Peut-être aussi cherchait-il à échapper à une sorte d’hallucination qui l’obséda de très bonne heure, et qu’il a

1. SW, II, 179.